- Hailee chérie, j’ai quelque chose à te dire.
- Tu me ferais presque peur avec ton air sérieux …
- C’est parce que c’est sérieux … Je ne pourrais plus m’occuper du café.
- Comment ça ? Qu’est-ce qu’il se passe ?
- Ne me coupe pas … je n’y arriverais pas sinon … J’ai … Les médecins m’ont découvert un cancer du sein. Ils m’ont expliqué tout … la maladie, les traitements, … la fatigue. Je pense pas être capable d’être partout … ça sera trop dur …
- Mais tu ne peux pas abandonner le café. Il fait partie de notre famille, il y a un peu de grand-mère dedans, de toi, de maman …
- Je sais … mais c’est trop dur Hailee …
Cette conversation date d’un an et demi, exactement. Ma marraine venait d’apprendre pour son cancer de sein, avait compris le dur combat qu’elle allait devoir mener pour expulser cette cochonnerie de son corps, et qu’elle devrait renoncer à énormément de choses pour ça. D’abord, je n’ai pas compris, même à 23 ans. Pas compris comment elle n’arriverait pas à tout gérer. Mais quand quelques semaines plus tard, je l’ai vue affaiblie par sa première séance de chimiothérapie, ses mots ont eu une signification différente pour moi. Et j’ai aussi eut envie de me battre pour elle, à ma façon. Le café valait tout autant, voire plus, à ses yeux qu’aux miens. Elle avait vu sa grand-mère y travailler, elle y avait grandit, avait fait des devoirs dans un coin de la salle, y avait servir des clients pour se faire de l’argent de poche, l’avait reprit à sa mère quand celle-ci était trop fatiguée et trop âgée pour tout y faire. Y renoncer était comme renoncer à une partie d’elle-même. Et une idée folle s’est ancrée dans ma tête, reprendre à mon tour les rênes de ce café. Être moi aussi derrière ce comptoir. Derrière ce bureau en chêne dans l’arrière-boutique. J’étais étudiante en littérature, une de mes passions. Je changeais d’université fréquemment, mes parents avaient la bougeotte depuis que j’étais toute petite, mais je commençais à en avoir assez de ne pas garder mes amis plus de deux ans. D’avoir à peine le temps de trouver ma place qu’on devait partir et tout recommencer ailleurs. Et si je devenais gérante de cet établissement, je pourrais vivre à Orlando, me poser, trouver une stabilité que je n’avais pas actuellement. Bien sur, j’ai parlé de mon projet à ma petite sœur Laasya. On est si proches qu’il était impossible qu’elle ne soit pas dans la confidence. On s’entraide depuis qu’on est toutes petites, en partie parce qu’à peine onze mois nous séparent l’une de l’autre. Et elle a tout de suite voulu faire partie de ce même projet, s’y investir.

- Prête ?
- Prête !
Dans ma main, je tenais celle de Laasya. Plus d’un an avait passé depuis ma conversation avec ma marraine. Par le plus grand des hasards, nos parents avaient choisi Orlando comme nouvel endroit pour s’y installer. Hasard plus qu’heureux. Car même si il y avait parfois des tensions au sein de notre famille, comme s’il y avait un secret à découvrir, ou plutôt qui devait absolument resté enfoui pour notre bien-être, j’avoue que j’aurai peut-être eu du mal à partir de moi-même. J’avais passé des heures, des journées, des nuits à apprendre des recettes par cœur, à participer à des cours et à des ateliers de cuisine pour être à l’aise avec le salé et le sucré. Tout ça alors que j’étais loin d’être un cordon bleu à la base. Laasya de son côté s’était plongée dans les comptes de ma marraine, avait étudié les budgets, les dépenses et les entrées d’argent, pour définir notre stratégie. Quinze jours avant l’ouverture, on avait retroussé nos manches pour donner un coup de jeune à la salle et au bar. Y apporter notre touche personnelle, ce côté nouveauté avec une touche de « ça reste dans la famille quand même ». Des couleurs pastels, de nouvelles housses de chaises, de nouvelles cartes de menus, de nouveau tableaux pour les serveurs. Puis, nous y étions. Devant la porte vitrée, le premier jour, celui de l’ouverture, celui où on saurait envie si les anciens clients nous faisaient confiance, et si les nouveaux seraient attirés par notre style et notre envie de nous investir dans ce lieu. Main dans la main, un dernier regard, et la porte s’ouvrit sur les sourires des premiers arrivés.

- Tu vas voir … il est adorable, drôle, et vraiment mignon …
- Mais puisque je te dis que je ne sors plus ce soir, je suis crevée No, j’ai passé dix heures debout en cuisine, j’ai fait plus de cent cupacakes, dix tartes au chocolat et dix chessecakes …
- Hailee ! Tu m’avais promis. Tu me laissais te présenter quelqu’un ce soir…. Une soirée à quatre …
- Oui oui je sais …. Mais je garde mes converses, trop mal aux pieds pour des talons ce soir …
Nohélia, ma meilleure amie, ma seconde moitié. Ma conscience. Qui s’était mise en tête de me trouver quelqu’un puisque je n’y arrivais pas moi-même. Je me servais de mon travail prenant comme excuse le plus souvent, être co-gérante du Raven’s Café me prenait plus d’énergie que je ne le pensais. Mais j’étais heureuse dans ce que je faisais. Selon No, il ne me manquait plus qu’un homme dans ma vie. J’étais assez d’accord avec lui. Vu de dehors, ma vie avait tout l’air d’être réussie, mais au fond, en grande romantique que je suis, bien sur que la présence d’un fiancé aurait été un énorme plus. Le souci, c’est que je n’étais pas vraiment à l’aise avec les hommes ; jouer les séductrices, les femmes fatales n’était pas vraiment ma tasse de thé. Et cette « timidité », je l’attribuais à notre monde de vie plutôt mobile pendant ma jeunesse et mon adolescente. Changer de ville et de lycée ne m’avait jamais permis d’avoir une relation sérieuse avec un garçon. Et pour ne rien vous cacher, j’avais aussi très peu d’expérience dans un lit. Je pense qu’on peut même compter sur les doigts de mes deux mains le nombre de fois où j’ai finie nue avec un homme. Nohélie était bien sur au courant de mes déboires, et j’appréciais ses efforts. Mais j’avais du mal à l’être à l’aise avec ces jeunes hommes qu’elle me proposait de rencontrer, parfois lors de sorties à quatre avec elle et son propre petit ami.

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